Paris-Brest-Paris
A bord de route sur le Paris-Brest-Paris 2023
Spectacle : Ensemble de choses ou de faits qui s’offre au regard.
Spectateur, Spectatrice : Témoin d’un évènement ; personne qui regarde un spectacle.
Public : Accessible, ouvert à tous
ou encore
Ensemble de personnes qui assistent effectivement (à un évènement).
L’été dernier, je réalisais un reportage pour France Info avec Raphaël Godet à la rencontre des individus sur les bords de route d’une étape du Tour. J’ai été frappé alors par l’immense popularité de la course et comment des êtres de multiples horizons occupaient l’espace et y trouvaient un bonheur ou un apaisement.
On m’avait prévenue, il y aurait du monde sur le Paris-Brest-Paris 2023 que je viens de terminer. Je n’ai pas été déçu. Même surpris. Sur les 1200 kilomètres du parcours, qu’on se trouve en ville ou en campagne, de jour ou de nuit, il était rare de rouler plus de dix minutes sans apercevoir au loin la silhouette de l’être humain qui attend notre passage. Des applaudissements, des encouragements, des propositions d’eau, de café ou de gâteaux, des tapes dans la main, des regards amusés.
Je ne pouvais m’empêcher comme beaucoup de clamer le mot « merci », puis « d’être là », ou « j’espère que ça vous plait », « d’être venue voir le spectacle ».
Clamer cela à tous ces gens qui me sont inconnus, mais familiers d’une certaine manière : je connais une part de ce pays-là, de cette vie de village que j’ai eu enfant, du plaisir à célébrer l’Estival ou les jeux de l’existence contemporaine à laquelle s’apparente le Paris-Brest-Paris. Eux ne me connaissent pas non plus, mais en devenant cycliste, j’emporte avec moi une mythologie et un imaginaire qu’ils reconnaissent.
J’accueille la joie de pleurer régulièrement à vélo, mais j’ai été surpris par des larmes à l’arrivée à Villaine-La-Juhel après quelque 1000 km.
Devenir soi-même l’objet d’un spectacle par la pratique d’une activité centenaire, le vélo, hors de tout enjeu de compétition, est une expérience singulière et touchante. À fortiori sur un temps aussi long, un cérémonial de plusieurs jours, sur plusieurs centaines de kilomètres. C’est inédit pour moi.
Comment j’ai compris cela ?
J’ai toujours été sensible à comment on arrive à faire société, à sortir les gens dans la rue, pour des causes, ou juste pour des causeries préalables. « Allons voir ce qui se trame dehors ». Réunissons les voisins. Mettons la table. Organisons un stand, rigolons.
Le Paris-Brest-Paris devient le motif, l’excuse, le prétexte.
Un rituel assez sain je trouve, gratuit et public, qui puise notamment son plaisir et sa force au point de rencontre entre la route, le chemin, le passage éphémère du/de la randonneur/euse cycliste et l’adresse, le domicile, le quotidien d’où provient l’habitant. e.
J’ai aimé l’occupation de la route que nous offrions mutuellement avec ces personnes. Une route trop longtemps privatisée par l’automobile ces dernières décennies. J’ai aimé les corps anciens sur le palier de leur porte. J’ai aimé la joie des enfants, savourant leur fin d’été et de vacances dans un ultime enthousiasme ludique. J’ai encouragé ces jeunes filles, uniques, pleines d’entrain jusqu’au bout de la nuit. Puisses les cyclistes les inspirer à continuer à prendre place dans ce monde sans s’excuser.
J’ai aimé te voir, toi la jeune adulte, en sortie de journée, dans une zone « péri-urbaine » d’Armorique en descente, seule dans ton fauteuil roulant, le soleil émerveillant ton visage, et la joie qui te saisissait à profiter de nos passages.
J’ai repensé à Paul Fusco, ce photographe qui avait immortalisé la foule venue observer le train transportant la dépouille de Robert Kennedy en 1968, j’ai repensé à Laurent Cipriani, photojournaliste et cycliste, témoin des témoins du Tour de France en 2015.
Je n’avais pas la possibilité de m’arrêter. Alors j’ai travaillé spontanément, au téléphone, de jour principalement, pour saisir ces silhouettes, ces visages à bord de route.